Confrontations à propos de la meilleure abeille

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Article par Georges Ledent,
Bruxelles, Belgique.
paru dans La Belgique Apicole,
vol. 32(6) 1968, p 148-150,
avec leur permission.

Le Frère Adam n’a jamais cessé de définir la meilleure abeille comme celle qui est la plus valable économiquement, c’est-à-dire dont le rendement est maximum.  Ensuite il s’est efforcé de la rechercher tout autour de la Méditerranée pour aboutir à sa race.  Il y a incorporé ce qu’il rencontrait de bon ici ou là, écartant les propriétés indésirables et il semble qu’il n’ait pas trop mal réussi.

Dans cette même Angleterre, sous l’impulsion de ce vaillant Beowulf A. Cooper, se développe l’Association dite des éleveurs de village (VBBA).  Son objectif consiste à redémarrer à partir de ce qu’il reste de l’abeille indigène et à la retoucher pour en faire l’abeille idéale pour le milieu ambiant.  Il entend par là, par exemple, comme il me l’écrivait dernièrement, que, tenant compte du climat des Iles Britanniques, on demandera à l’abeille d’être capable de sortir et de travailler par temps froid, malgré le vent, sans craindre (c’est moi qui l’ajoute) un peu de pluie.  On préférera la longévité à la prolificité, quitte à ne pas ambitionner de récolte record dans le cas exceptionnel d’une saison favorable pour autant que dans les années médiocres ou mauvaises le rendement en miel se situe au-dessus de la moyenne.

En Amérique, le soin de produire les meilleures abeilles semble être le propre des fabricants de « paquets d’abeilles » et des reines qui les accompagnent, tout au moins en apiculture industrielle.  Comme celle-ci se pratique dans les régions à miellées massives, les raffinements tels que l’adaptation de l’abeille aux conditions locales peuvent être négligés.  Lorsque la miellée est là, comme nous l’avons eue la saison dernière dans les régions à trèfle blanc (Trifolium repens), on a pu se rendre compte qu’il faudrait presque y mettre de la mauvaise volonté pour ne pas voir les magasins se remplir à toute allure !

Cela n’empêche pas, d’ailleurs, l’apiculture américaine de travailler en liaison étroite avec le secteur scientifique universitaire extrêmement développé aux U.S.A. tout comme avec ceux dépendant du Ministère de l’Agriculture: l’apiculture fait l’objet de travaux dans une cinquantaine d’instituts universitaires et dans une bonne demi-douzaine d’instituts du Département de l’Agriculture !

On sait la vague, probablement justifiée, qu’ont actuellement les hybrides mises sur le marché par Dadant sous le nom de starline et midnite.  D’autre part, tous les yeux sont fixés sur les travaux, en voie d’achèvement, qui donneront une abeille plus apte à la pollinisation de la luzerne, une « spécialiste » à rendement amélioré.

En somme, l’apiculture américaine se ramène, dans les grandes lignes, à remonter vers le nord des colonies qui ont pu être formées, en quelque sorte, prématurément, sous le climat des Etats du Sud.  Une fois là, plus leur développement sera rapide, mieux cela vaudra.  Mais déjà dans le sud, pour fabriquer tous ces paquets d’abeilles avec leurs dizaines de milliers de reines, il a aussi fallu de l’abeille précoce et prolifique, essentiellement.

Les conditions sont assez différentes dans nos pays européens.  N’empêche que le rapprochement avec les affrontements qui viennent de se produire lors d’une conférence à Soltau en Allemagne entre apiculteurs professionnels et experts de l’Association d’apiculture est extrêmement intéressant.  Le compte rendu en a paru dans le numéro de février dernier de la « Allgemeine Deutsche Imkerzeitung ».

En Allemagne, beaucoup de choses bougent, ou même ont déjà bougé en matière apicole.  On s’y départit de la fidélité traditionnelle au rucher en pavillon. L’exemple américain a mis en lumière l’avantage qu’il y aurait à tout ramener à deux modèles standardisés (Dadant et Langstroth), voire à un seul (Langstroth) ?

En fait, à la suite d’un processus que nous ne sommes pas en mesure d’analyser, il s’est installé une désaffection, bientôt patronnée par toutes les instances apicoles, à l’égard de l’abeille indigène, au profit, on peut dire exclusif, de la carniolienne.  Ce n’est que lorsque, il y a deux ans, le Nosema se mit à sévir particulièrement en Allemagne, que l’en entendit pour la première fois dire autre chose que monts et merveilles de la carniolienne, d’ailleurs à tort ou à raison.

Dès que la discussion se fut engagée, le Dr. Dreher, autorité de tout premier plan en matière d’élevage, concéda volontiers qu’en considération du rendement, le facteur race n’est qu’un facteur parmi d’autres et que sa part est même moindre que communément admis : l’influence sur le rendement se traduirait par 10 % avec une abeille noire racée mais irait jusqu’à 20-30 % avec la carniolienne.

Il n’en fallait pas plus pour lancer le débat sur la carniolienne, et c’est tout juste si les apiculteurs professionnels admettent qu’on la qualifie de « moindre mal ».  Par opposition à la carniolienne, ils définirent l’abeille idéale selon eux, qu’il y aurait lieu de mettre au point : « une abeille chez qui la ponte se poursuit sans tenir compte de la miellée, peu essaimeuse, ne piquant pas exagérément ».

Droge, l’un des « pros » les plus qualifiés d’Allemagne (il a tout essayé et même pratiqué l’insémination instrumentale à compte personnel) affirma alors qu’il serait vain, pour obtenir ce résultat, d’avoir recours à l’élevage sur race pure.  La pureté de la race entraîne un appauvrissement des qualités alors que c’est leur enrichissement qu’il faut poursuivre.

Baumgarten, second « pro » déclara pour sa part que l’élevage sur une souche carniolienne ayant eu un effet récessif sur son exploitation, il y para en procédant à des croisements entre lignées Peschetz, Troiseck et Sklenar.  Il y eut du mieux mais limité, si bien qu’il essaie pour le moment la carniolienne méridionale (du Banat ?).  Mais, ajoute-t-il, là non plus tout ce qui brille n’est pas or.  Notamment, sur plus de 80 reines importées, il n’en a trouvé que douze à sa convenance.

Deichmann, quant à lui, définit comme suit son « élevage » : Trier de cent colonies les 20 meilleures.  En faire un rucher séparé.  Faire de la multiplication en faisant ensuite un choix dans le produit.  Ajouter par-ci, par-là du sang nouveau provenant de l’extérieur.  Cela donnera automatiquement un enrichissement en gènes à valeur économique, une abeille dotée d’un spectre génétique étendu. (Au départ, il y avait eu chez lui la carniolienne).

Kraft, que l’article décrit comme l’apiculteur itinérant qui totalise le maximum de kilomètres en Allemagne, met le point final à l’exposé en déclarant lapidairement : « La masse prime la race !  Ce que j’ai comme abeilles dans mes ruches m’est absolument indifférent, à condition qu’il y en ait beaucoup. »

paru dans La Belgique Apicole,
vol. 32(6) 1968, p 148-150,
avec leur permission.
Article par Georges Ledent,
Bruxelles, Belgique.