A la recherche des meilleures
lignées d’abeilles

Second Voyage (2)

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[ Premier voyage - 1951 ]
[ Troisième voyage - 1961 ]
[ Conclusions des voyages - 1964 ]
par le Frère ADAM, O.S.B.
(1898 - 1996)
© photo Erik Österlund
Frère Adam
Abbaye St Mary, Buckfast,
South Devon - Angleterre.
Traduction et adaptation française
par Georges LEDENT
Bruxelles, Belgique
publié en français dans
La Belgique Apicole, 19(5), 1955, 113-117;
avec leur permission.
Original in Bee World, 35(10), 1954, 193-203.

 

Israël

Après sept jours en mer, assez désagréables, la Palestine — le pays où coule le lait et le miel — fut atteinte le 8 avril.  Je passai la nuit sur le Mont Carmel et, le lendemain matin, durant le voyage vers Tel-Aviv, la Terre Promise se révéla dans toute la gloire de son printemps.  On me dit que la profusion extraordinaire de fleurs sauvages qui s’offrait à la vue n’avait pas eu sa pareille depuis presque un demi siècle.  Elle était due aux pluies exceptionnellement abondantes de l’hiver précédent.

La route vers Tel-Aviv traverse la partie la plus fertile d’Israël, la plaine de Saron, qui s’étend au Sud du Mont Carmel.  Une ceinture de plantations d’orangers large d’environ 35 km l’enserre sans interruption jusqu’à Jaffa et au-delà.  En pleine floraison, elle répandait un lourd parfum sur toute la campagne.  On me dit que la miellée était près de son maximum et que les apiculteurs étaient déjà occupés à extraire.

Au Ministère de l’Agriculture, à Tel-Aviv, je fus présenté à M. D. ARDI, conseiller apicole du Gouvernement.  Bientôt un plan fut établi pour la prospection d’Israël et il fut convenu que M. ARDI me servirait de guide.  Je lui exprime ici tous mes remerciements pour son aide et son hospitalité.

La poussée dynamique de cet Etat de formation récente se manifeste partout.  Les problèmes économiques sont résolus de la manière la plus directe et la plus efficiente.  Peut-être l’exemple le plus frappant en est-il l’action entreprise par le Ministère israélien de l’Agriculture pour équiper les apiculteurs de tout le pays d’un matériel d’élevage de qualité.  Ce matériel provient des stations de fécondation appartenant au gouvernement.  La principale est à Hefzebah, près de l’ancienne Césarée.  Par force de loi, aucune abeille ne peut être tenue dans un rayon de cinq km de la station.

Hefzebah produit une lignée d’italiennes spécialement sélectionnées qui a fait l’objet, avant d’être généralement adoptée, de tests approfondis durant une série d’années, sous le climat d’Israël, côte à côte avec nombre de lignées d’origines variées.  Ce faisant, le Gouvernement d’Israël vient en aide à la profession de la façon la plus efficace qui soit.

II est arrivé qu’on dise qu’Israël possède sa propre race d’abeilles indigènes.  Mais en y regardant de plus près, on a constaté qu’il n’y a pas de différence tranchée entre les abeilles du Liban, de Syrie et de Palestine.  Les légères variations ne justifient pas une classification séparée.  Géographiquement, Israël est une partie de la Syrie et il n’y a pas de barrière naturelle qui eût pu empêcher une interpénétration s’il avait existé plus d’une seule race indigène.

L’abeille syrienne, Apis mellifera var. syriaca, ressemble à la cypriote ; les deux races n’en sont pas moins nettement distinctes, bien qu’étroitement apparentées.  La syrienne est plus menue et présente tous les défauts de la cypriote, à un degré plus intense, en particulier l’agressivité.  A mon point de vue, l’humeur de la syrienne enlève à cette race toute valeur qu’elle pourrait présenter à d’autres titres, bien qu’à l’encontre de certaines races européennes, elle n’attaque que quand on la dérange.  Une apiculture primitive peut fort bien s’en accommoder puisqu’en dehors d’une récolte de miel par an, en fin de saison, quand la colonie en est à son point le plus bas, on n’y met pas les doigts.  Mais les manipulations que requiert l’apiculture moderne ne paraissent pas compatibles avec des colonies de syriennes.  Même des colonies miniatures, ne couvrant que quelques rayons, ne tolèrent pas d’être dérangées, comme j’ai pu en faire l’expérience.  En outre, un essaim d’abeilles en furie, attaquera et poursuivra tout être vivant à sa portée.  Cette habitude d’attaquer en masse à grande distance de la ruche est un trait fort dangereux.  Les telliennes, les cypriotes et certaines lignées françaises le possèdent également, mais à un bien moindre degré.

La syrienne pure est une abeille élégante.  L’abdomen est très effilé et les trois premiers segments dorsaux sont jaune-citron clair.  Les tomenta et les poils ont des reflets argentés et le scutellum est d’un jaune brillant.  La fécondité de la syrienne est prodigieuse, elle ne l’est que trop.  L’abeille est bonne butineuse et possède une grande vitalité.  Par contre le penchant à l’essaimage est excessif et quand l’impulsion est déclenchée, un nombre énorme de cellules royales est construit, souvent des centaines.  Une des qualités les plus marquées de la syrienne est son intrépidité à défendre son foyer.

La vraie syrienne se différencie de toutes les autres races par l’aspect et les caractéristiques biologiques.  Néanmoins il n’est pas facile d’en trouver des colonies à l’état pur.  En Israël même, on n’en trouvera peut-être qu’en Galilée supérieure, dans la région entre le lac Hula et Metulla.  En Jordanie, elles sont plus répandues.  Mais dans le Nord du Liban et en Syrie, l’influence de l’abeille d’Anatolie est nettement discernable.  En fait, on relève une variation marquée même dans les colonies immédiatement au Nord de Beyrouth.  Les métis prédominent partout en Israël, car un gros effort est fait pour supplanter l’abeille indigène.

Il y a quelques apiculteurs israéliens qui considèrent l’introduction des italiennes comme une grave erreur.  On sort l’argumentation bien usée en faveur de l’abeille indigène, tout comme dans beaucoup de pays.  Nous avons visité un des partisans de l’abeille indigène et une démonstration de la docilité de celle-ci nous fut donnée.  Je n’en suis pas sorti convaincu.  A mon sens, l’abeille syrienne ne rachète son irascibilité par aucune qualité.  Bien qu’il m’ait été assuré souvent que des lignées réellement douces existent, je n’en ai jamais rencontré au cours de mes pérégrinations.

Pénétrant dans un rucher où des syriennes étaient tenues dans des ruches modernes, on était aussitôt aux prises avec une horde d’abeilles furieuses et sifflantes, dont une nuée vous poursuivait à une distance considérable après que vous aviez quitté le rucher.  Cette méchanceté extrême est parfois considérée comme éminemment désirable : un des apiculteurs arabes les plus capables m’a assuré qu’il était seul à avoir une récolte de miel parce que l’humeur de ses abeilles rebutait les visiteurs inconsidérés.

En 1952, Israël comptait environ 33 000 colonies et l’on s’efforce d’en doubler le nombre en quelques années.  Le matériel nécessaire est importé d’Amérique, équipement Langstroth exclusivement, et pour l’économie et la simplification, des corps de ruche devront servir de hausses.  Les ruches primitives ne se trouvent que dans des villages arabes isolés.

L’apiculture commerciale est surtout l’apanage des établissements communaux coopératifs ou kibboutzim.  Certains des kibboutz gèrent jusqu’à un millier de colonies.  On s’attache à l’apiculture intensive plutôt qu’extensive ; la rareté du bois, le prix élevé des ruches importées et les conditions économiques générales excluent toute fantaisie dans la conduite des abeilles.  La récolte provient principalement de la fleur d’oranger, laquelle donne de vingt à trente kilos par ruche.  Fin avril ou début mai, les ruches sont déplacées des plaines côtières à vergers d’orangers vers les collines et monts de Galilée, pour y faire une seconde récolte sur les fleurs sauvages dont les plus importantes sont l’acacia, le cactus, la lavande, la carotte sauvage, la sauge, le thym et une grande variété de chardons.  Le rendement en est, de nouveau, de vingt à trente kilos par ruche.  Il n’y a pas de doute que l’apiculture commerciale n’ait un avenir prometteur en Palestine.

Comme on pouvait s’y attendre, la récolte de miel dans le Levant dépend principalement des pluies tombées durant les courts mois d’hiver.  Ceci est vrai pour la fleur d’oranger et, plus encore, pour la flore sauvage.  Cependant, les espoirs nés de l’abondance des pluies peuvent être en fin de compte réduits à néant par le redouté " khamsin " au moment de la floraison.  Tout le Levant avait bénéficié de pluies particulièrement abondantes l’hiver précédent, en 1952.  Mais, au moment où la miellée battait son plein, le chaud khamsin flétrissait toute la floraison en quelques heures.  En place d’une récolte record, on ne tira que six kilos par ruche — la moyenne la plus basse des dernières dix années.  Néanmoins les fleurs sauvages en altitude ne furent pas touchées et une récolte exceptionnelle y fut faite.

De mi-juillet à novembre, moment où débute la saison pluvieuse, il n’y a ni nectar ni pollen.  Durant cette période, les colonies ont à lutter en outre contre frelons et fausses teignes, et la bataille est acharnée : les populations sont d’abord affaiblies par les frelons, puis les fausses teignes donnent le coup de grâce.  En dépit de tous les efforts pour lutter contre les frelons, par appâts empoisonnés et destruction des nids, on perd en moyenne chaque année, environ 10 % — parfois jusque 30 % — des colonies.  Certains apiculteurs ont dû déménager des ruchers entiers dans des régions moins fortement infestées de frelons.

Les pluies et le froid en novembre mettent un terme à la bagarre et, avec le début de la saison humide, l’abeille signe un nouveau bail avec l’existence.  Dans les régions maritimes, le caroubier (Ceratonia siliqua) et le loquat (Eriobothyra japonica) donnent un nectar abondant et du pollen quand le temps est favorable.  Dans les régions plus élevées, il n’est pas rare que sévissent durement mais brièvement des conditions hivernales.  Néanmoins l’hiver ne pose pas de problème sérieux à l’apiculteur.

Depuis des années, j’entendais beaucoup parler de l’abeille syrienne grâce à l’amabilité de Fr. Maurus MASSE.  Lors de son séjour à notre monastère à Abon-Cosch, il avait cherché à tirer le meilleur parti de cette race.  Ses efforts n’avaient guère été récompensés et je ne suis plus, maintenant, surpris de son échec.


publié en français dans
La Belgique Apicole, 19(5), 1955, 113-117;
avec leur permission.
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