A la recherche des meilleures
lignées d’abeilles

Second Voyage (3-4)

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[ Premier voyage - 1951 ]
[ Troisième voyage - 1961 ]
[ Conclusions des voyages - 1964 ]
par le Frère ADAM, O.S.B.
(1898 - 1996)
© photo Erik Österlund
Frère Adam
Abbaye St Mary, Buckfast,
South Devon - Angleterre.
Traduction et adaptation française
par Georges LEDENT
Bruxelles, Belgique
publié en français dans
La Belgique Apicole, 19(6, 7), 1955, 168-171 et 195-200;
avec leur permission.
Original in Bee World, 35(10), 1954, 193-203.

 

La Jordanie

Le 19 avril, je passai en Jordanie, à notre Monastère de Saint-Benoît, sur le Mont Olivet.  Le site est au sud-ouest de Jérusalem et offre une vue parfaite de la vieille Ville et de la zone du Temple. jusqu’à peu de temps d’ici, on tenait des abeilles Syriennes au Monastère, sans grand succès.

Les Arabes ont foi en leur abeille indigène.  On m’assura à satiété qu’il existait deux variétés distinctes de cette abeille, l’une bâtissant des rayons en forme de lune, l’autre en forme de sillon ondulé...  On ajoutait que la première est douce mais a la vie brève et ne butine guère, tandis que l’autre, acariâtre, vit longtemps et récolte un miel abondant.  Par malheur, cette nette différenciation ne résiste pas à l’examen.  Faisant abstraction de la similitude orientale, notons qu’un jeton, enruché dans un de ces cylindres de glaise israéliens, élèvera des rayons parallèles à l’entrée et, par suite, de forme apparentée au cercle parfait.  D’autre part, un essaim primaire occupera aussitôt la plus grande partie du cylindre et construira des rayons perpendiculaires à l’entrée, en bâtisse froide, comme on dit prosaïquement en Europe.  Un jeton a peu de chances d’échapper aux ravages du frelon et de la fausse teigne et, pour cela, est aux yeux du non initié, à vie courte et médiocre butineur.  Cette notion de l’existence de deux variétés d’abeilles d’une seule et même race indigène est curieusement répandue dans le Moyen-Orient.  Nous la retrouverons, basée sur la même différenciation, à Chypre.

Ces dernières années, de grands efforts ont été faits pour introduire la ruche moderne en Jordanie.  Mais s’il ne s’accompagne pas de l’introduction simultanée d’une abeille plus maniable, ce programme tout pétri d’intentions louables paraît voué à l’insuccès.  Il n’y a rien à gagner à mettre des abeilles syriennes en ruches modernes; on sera ensuite forcé de les abandonner à leur sort, parce que intraitables.  Elles peuvent donc aussi bien rester dans leurs cylindres d’argile.  De plus, le rendement net en miel n’accuserait guère d’amélioration, mais une différence se marquerait nettement entre le prix de revient dans les ruches modernes, comparé à ce qu’il est en apiculture primitive.  Dans un pays où le bois manque, il n’est pas indiqué d’introduire une abeille convenant aux méthodes modernes de conduite du rucher, puisque le prix de revient d’une ruche à cadres ne sera jamais couvert.  Les cylindres de glaise durcie au soleil ne coûtent pour ainsi dire rien et si on les fait suffisamment grands ils constituent un logement satisfaisant pour l’abeille syrienne.

Mon enquête en Jordanie m’a conduit à nombre de ruchers primitifs sans que j’en rencontre d’importants : au plus une douzaine de ruches mais, plus souvent, seulement de deux à quatre.  Les ruches d’argile sont bien conçues et de capacité acceptable, par suite bien adaptées aux écarts de température et à ce que vaut l’abeille indigène.  Elles ont, intérieurement, 65 cm de long et 30 cm de diamètre.  Les parois ont 5 bons cm d’épaisseur.  Moins répandues sont les ruches en poterie, ayant la forme d’une jarre à eau orientale, d’une contenance d’environ 10 litres, dont le col fait office d’entrée.  Ces jarres sont posées couchées, et l’ouverture par où se récolte le miel, à l’arrière, est pourvue d’un disque détachable.  Ces ruches présentent l’avantage d’être très durables et d’offrir une protection quasi parfaite contre les multiples ennemis.  Mais il est indispensable qu’elles ne soient pas exposées directement aux rayons du soleil dont il est superflu d’abriter les cylindres d’argile.  Ces ruches paraissent particulières à la Jordanie et au Liban.  Du moins ne les ai-je vues nulle part ailleurs.

Le 7 mai, je quittai Jérusalem pour la Syrie et le Liban, via Jéricho et Amman.  Dans le voisinage de Jéricho, la moisson du blé battait déjà son plein.  La saison avançait rapidement.  Dans les champs, les lis avaient disparu jusqu’au prochain retour du printemps et le paysage était brun et dur.  Mais au moment de prendre congé d’Israël, je tombai de nouveau dans un site aussi charmant que tout ce que l’on peut imaginer, dans la vallée verdoyante de Wadi Salt, où serpente la route menant à Amman après avoir quitté la plaine de Jéricho.  Cette étroite vallée, incrustée entre les collines désolées de l’antique Moab, avec sa profusion de fleurs sauvages, ses masses d’oléandres en pleine floraison et, partout, la fleur écarlate ciré du grenadier, s’arrangeait pour composer un tableau délicieux, inoubliable.  Dans ce paysage magnifique le Département de l’Agriculture de Jordanie a récemment établi un rucher expérimental, entre Suweilé et Ensalt.

A mon arrivée à Amman, je rendis au Département de 1’Agriculture la visite attendue, puis pris la piste risquée du désert, en direction de Damas.

La Syrie et le Liban

Au moment d’entrer en Syrie, j’avais déjà recueilli une importante collection d’échantillons pour le département apicole de Rothamsted, précieuse en vue d’études biométriques mais n’ayant de valeur que sous cet aspect.  Néanmoins, les autorités douanières syriennes étaient d’un autre avis.  Les nombreuses boîtes pleines de tubes de verre, chacun avec sa protection, son étiquette et son numéro, leur parurent trop précieuses pour passer sans qu’une somme rondelette soit consignée.  Puis j’étais en route pour Damas ... où des choses de ce genre pourraient bien s’y vendre, se disaient-elles.  Au bout de deux heures, perdues sous la chaleur insupportable du désert d’Arabie, je fus autorisé à poursuivre, non sans avoir à payer pour le dérangement que j’avais occasionné, et avec chacune des boîtes dûment pourvue du sceau de plomb de la douane.  Ce ne devait être que le début des difficultés auxquelles ces échantillons allaient donner lieu jusqu’à la rencontre d’autorités plus éclairées, des mois plus tard.

La végétation merveilleuse du Liban compte une quantité de trèfles sauvages.  En Galilée, j’en avais déjà vu de nombreuses variétés nouvelles pour moi, mais elles croissent avec une tout autre profusion dans le Liban.  De fait, on m’a dit à Beyrouth qu’on n’avait pas, jusqu’ici, fait le relevé de toutes ces espèces : on pense qu’il pourrait y en avoir 150 ou plus.  Mon attention se portait sur deux espèces surtout, des espèces miniature, l’une blanche et l’autre rouge.  Toutes deux ne dépassent pas 7,5 cm de hauteur mais la profusion des fleurs est surprenante.  Leurs têtes forment d’épais tapis blancs ou pourpres.  Lorsque, venant de Damas, je traversai pour la première fois la partie la plus élevée des Monts du Liban, mon œil fut frappé par d’énormes plaques de pourpre qui s’avérèrent être de ce trèfle miniature rouge en pleine fleur.  Sa valeur en tant que source de nectar se révélait aussitôt : les abeilles y foisonnaient.  Je n’ai même jamais vu auparavant autant d’abeilles butinant aussi intensément une zone donnée.

En outre, elles devaient être venues de loin, car, à des lieues à la ronde, on ne voyait pas de rucher sur ce haut plateau partout ailleurs pelé et aride.  Le trèfle miniature blanc est une tout aussi riche source de nectar.  Les deux espèces croissent au niveau de la mer et sur la hauteur, mais le rouge paraît préférer le sol pauvre des monts du Liban, à environ 1000 m d’altitude.

J’ai rencontré le blanc — mais pas le rouge — à l’altitude élevée de Troodos, à Chypre.

La flore du Liban est plus luxuriante, voire plus variée encore, que celle d’Israël.  Le pays, montagneux, assure de plus abondantes pluies, et la forte humidité jointe à la chaleur oppressante confèrent aux basses régions maritimes un caractère tropical naturel tout au long de l’été.  La ceinture de bosquets d’agrumes, les plantations de bananes et de loquats, le long du littoral, fournissent une des principales sources de nectar.  Toutefois, la flore nectarifère, variée à l’extrême, des flancs des monts et des collines donne une récolte de miel qui n’est pas moins riche.  En somme, je crois que le Liban dispose, pour les abeilles, d’une des flores les plus riches et les plus variées du monde.

Les possibilités de l’apiculture au Liban se reflètent dans la taille des ruches primitives.  La tradition et une expérience séculaire ont indubitablement démontré les avantages d’une ruche ayant une capacité en miel bien supérieure à la moyenne d’autres pays.  Les ruches libanaises sont tubulaires et mesurent un plein mètre et quart en longueur et un peu moins de 30 cm de diamètre.  Elles ne sont pas faites de bois, glaise ou terre, ni de tiges de roseau ferula, comme dans d’autres pays que j’ai visités, mais d’osier recouvert d’un mince enduit de glaise comme finition.  Des éléments raides en bois sont incorporés longitudinalement dans le clayonnage afin de donner à l’ensemble tubulaire la stabilité et la rigidité nécessaires.  Ces ruches d’osier ne peuvent être mises directement sur le sol — surtout dans un climat humide; elles sont placées individuellement sur des supports, une série de ceux-ci se superposant à une autre, sous un abri couvert avec un toit quelconque.  A Baalbeck — renommée pour son miel ainsi que pour les ruines uniques de son temple — j’ai vu les ruches primitives ayant, de toutes, la plus grande capacité; elles étaient faites en bois et n’avaient pas moins de 1,80 m de long et 35 cm de hauteur et largeur à l’intérieur.

L’usage de ruches modernes (Langstroth et Dadant) est passablement répandu dans tout le Liban.  Le gouvernement fait tout ce qui est possible pour encourager davantage encore l’adoption d’équipements modernes et de méthodes avancées d’apiculture.

L’abeille indigène laisse beaucoup à désirer.  Bien que pas tout à fait aussi irritable que l’abeille trouvée en Israël, il lui déplaît d’être dérangée.  Il y a une différence marquée de couleur, de taille, de caractère et de comportement général par rapport à la syrienne au Nord de Beyrouth.  Il y a bien eu de l’importation, néanmoins j’incline à attribuer ces variations à l’influence de l’abeille d’Anatolie.  Peut-être pourrait-on tirer quelque chose d’utile de cette rencontre hétérogène par élevage sélectif, mais on se demande si cette peine serait justifiée.  Une bonne lignée de ligustica digne de confiance, et une distribution de produit d’élevage sur le modèle de ce qui se fait dans le pays méridional voisin, semble devoir être la bonne solution.  Procéder de la sorte donnerait un résultat rapide et sûr, avec un minimum de frais.

Le Liban a des paysages incomparables et il serait difficile de trouver un autre pays de même grandeur au climat aussi varié et à la flore aussi riche.  C’est un pays où l’apiculture devrait prospérer comme nulle part ailleurs dans le Proche-Orient.

J’ai une grande dette de gratitude envers Sir Henry et Lady KNIGHT pour l’aide qu’ils m’ont accordée sous tant de formes durant mon séjour au Liban. je leur en exprime toute ma reconnaissance.

Chypre

La visite que je faisais à Chypre, je l’avais attendue intensément.  Plus de trente-trois années s’étaient écoulées depuis que le premier envoi de reines cypriotes était arrivé à Buckfast, et d’autres en nombre avaient suivi plus tard.  J’étais par conséquent bien au fait des idiosyncrasies de cette race Apis mellifera var. cypria, mais il y avait différents problèmes importants que seule pouvait résoudre l’étude sur place.  En outre, de bonnes raisons permettaient de présumer qu’en cherchant bien, on trouverait des lignées isolées plus accommodantes que tout ce que nous avions possédé jusqu’ici.

A Chypre, où j’arrivai le 17 mai, des délégués du Département de l’Agriculture m’offrirent aimablement leur assistance sitôt mon débarquement à Limassol.  Cependant rien d’utile ne pouvait être fait ce jour-là, parce que, à peine étais-je arrivé, la pluie se mit à tomber, une pluie d’une intensité tropicale.  Cette averse, non seulement n’était pas de saison, mais aussi tombait fort mal à propos, la récolte du grain battant encore son plein.  J’appréciai néanmoins ce changement, pour ma part, après la chaleur moite de Beyrouth.

Je retournais à Nicosia le lundi suivant pour rendre visite au Département de l’Agriculture.  Sitôt que j’y fus, on me remit aimablement une liste complète de tous les ruchers importants de l’île, avec indication du nombre de colonies et du type de ruches de chacun.  Après un bref échange de vues, M. Osman NOURI dressa un itinéraire et passa ses instructions aux chefs de district intéressés.  La première semaine fut consacrée aux secteurs Nord et Centre, puis nous poussâmes notre enquête aux districts de Famagusta, Larnaca, Limassol, Paphos et Lefka.  Le 4 juin, je partais de Larnika pour la Grèce.  Grâce aux arrangements efficaces et à la coopération bienveillante des chefs de district respectifs, je fus en mesure de procéder à mon enquête, non seulement de façon expéditive, mais encore très à fond, et M. S.A.L. THOMPSON aussi; contribua puissamment au succès de mes efforts.

La flore nectarifère de Chypre est assez variée, mais ne peut être comparée a celle du Liban.  L’humidité fait défaut et il n’y a pas de cours d’eau permanents.  Durant la plus grande partie de l’année, la plaine centrale " la Messaoiria " offre à peine aux abeilles de quoi subsister.  Elle est stérile et brûlée de la fin mai jusqu’au retour des pluies.  Les collines et vallées, et les deux chaînes montagneuses cheminant parallèlement de l’Est à l’Ouest de la plaine, offrent une bien plus riche provende.  Le sommet le plus élevé de la chaîne de Troodos, au Sud, s’élève à 1932 m.  La chaîne de Kyrenia, au Nord, est plus basse.

La récolte principale de miel provient de fleurs de fruitiers, citronniers, chardon et thym sauvage.  Par suite du manque d’humidité, le trèfle ne sert pas aux abeilles et c’est probablement pour la même raison que le caroubier (Ceratonia siliqua), très apprécié comme source de nectar en Sicile, ne donne pas ici.  C’est fort regrettable, étant donné que Chypre est renommée pour ses caroubiers; il y en a environ deux millions et, contrairement à la plupart des arbres, ils semblent prospérer partout.  Il y a nombre de sources secondaires de nectar, depuis le début des pluies hivernales jusqu’à la saison sèche.  Les abeilles peuvent récolter suffisamment pour se sustenter l’hiver — loquat, acacia, et eucalyptus qui donnent en décembre, puis différentes espèces de pissenlits, fèves et anchusa, et, vers le printemps, oxalis, romarin, sauge, etc.

Les plantations étendues d’agrumes se concentrent aux environs de Famagusta, Limassol et Lefka.  Le thym sauvage (Thymus capitatus), la même espèce dont provient le fameux miel de l’Hymette, prospère seulement sur des versants dénudés et grillés où rien de fameux ne pourrait subsister.  Les nombreuses espèces de chardons se trouvent principalement dans les secteurs plus arides du pays.  Certains sont jolis; le plus beau de tous, répandu partout fin mai le long des chemins, est tout vêtu de bleu céleste : la mince tige et les feuilles.

La nature ne s’est pas montrée particulièrement indulgente pour l’abeille à Chypre.  Sauf parmi les bocages d’orangers, il n’y a pas de miellées abondantes en nectar.  L’abeille indigène, par la force des choses, est incapable de s’en tirer durant la plus grande partie de l’année, mais la quantité de surplus récoltée est mince.

Il y a environ 22 000 colonies d’abeilles à Chypre, dont moins de 2000 dans des ruches modernes.  Des efforts sont entrepris en vue de favoriser les méthodes modernes d’apiculture et des cours sur l’apiculture avancée sont donnés à la ferme centrale expérimentale de Morphou.  A cette ferme, il y a une petite installation de manufacture de cire gaufrée, la seule dans l’île.  Les ruchers possédant un équipement moderne sont en majeure partie la propriété des grosses compagnies de culture fruitière.  L’établissement d’apiculture et d’élevage de reines appartenant à M. S.A.L. THOMPSON, à Jingen Bahchese, Kyrenis, est probablement le plus avancé de son espèce.

Les ruches primitives de Chypre sont d’argile soit cuite soit séchée au soleil.  Elles sont tubulaires, de dimensions intérieures de 75 × 25 cm environ.  Les ruchers en comportant cent à cent cinquante sont fort communs; les tubes d’argile sont empilés et soudés en un bloc compact, comme les briques dans un mur.  Ils sont généralement disposés en quatre ou cinq étages et, fréquemment, un gros ensemble de ces tubes fait penser à un mur de clôture; les tuiles de faîtage qui les couronnent habituellement concourent à compléter l’illusion.  Les petits ruchers sont rares à Chypre.  Dans certains villages, à Paphos, par exemple, il arrive qu’on trouve des ruches incorporées aux murs des maisons et, s’ouvrant par l’intérieur dans une chambre à coucher ou une pièce où l’on se tient.  Bien que la Ferula thyrsifolia pousse à Chypre, on ne l’utilise pas à la confection de ruches; on lui préfère l’argile plus durable.

On ne sait quand ni d’où la première colonie d’abeilles fut apportée à Chypre.  L’hypothèse d’un essaim volage ayant volé depuis le continent est à écarter, l’Asie Mineure étant à 65 km. et la Syrie à 100 km.  Certains signes tendraient à indiquer une descendance de souche égyptienne : Chypre a été d’abord occupée par les Egyptiens en 1450 avant J.C. et il est connu que, environ 850 ans plus tard, il y avait des abeilles dans l’île, puisque Hérodote fait allusion à un essaim qui avait pris possession d’un crâne suspendu devant le temple d’Aphrodite.  L’attention de l’apiculture moderne se porta pour la première fois sur l’abeille cypriote en 1866.

La taille de l’abeille cypriote est à mi-chemin entre l’italienne et la syrienne.  La couleur des trois premiers segments dorsaux est orange clair brillant; les quatrième et cinquième segments sont également orange, mais seulement près des lames ventrales.  Chacun des trois premiers segments dorsaux porte un bord noir nettement délimité, du plus étroit sur le premier et au plus large sur le troisième segment.  La couleur des trois segments postérieurs dorsaux est d’un noir accusé, qui tend à rehausser l’orange des trois premiers segments.  Les lames ventrales, sauf les deux postérieures, sont généralement d’un orange transparent sans aucune trace d’une coloration plus foncée : ceci est une des marques les plus caractéristiques de la cypriote.  Le scutellum est orange pâle, et la toison ainsi que les tomenta sont chamois.

Les reines sont sensiblement plus petites que toutes celles d’origine européenne.  Leur couleur et le marquage sont beaucoup plus constants, et ce marquage si bien défini, fait qu’une reine cypriote peut être facilement identifiée.  L’abdomen est orange pâle, mais chaque segment dorsal porte un rebord étroit, bien délimité, noir, en forme de croissant.  Il arrive qu’on observe un marquage assez analogue chez une reine hybride commune, mais dans ce cas les bandes sont plus larges et la délimitation en est moins nette.  Bien que fort menues, les reines cypriotes sont excessivement prolifiques.  Cependant leur fécondité n’atteint son maximum que lorsqu’elles sont croisées avec une autre race.

Contrairement à ce que l’on pourrait attendre, les cypriotes pures n’ont pas de propension à l’essaimage.  Ceci serait fatal dans leur habitat natif.  Sous l’impulsion de la fièvre d’essaimage, elles construisent d’ordinaire un grand nombre de cellules royales — souvent plusieurs centaines — et ont tendance à les former en groupes ressemblant à une grappe de raisins miniature.  La puissance d’élevage de cette race est prodigieuse, et plus de miel est consacré à élever du couvain qu’il ne plairait à l’apiculteur, mais ceci doit être considéré comme un dispositif de la nature en vue d’assurer la survivance respective des colonies dans leur habitat natif.  Les cypriotes sont robustes, vivent longtemps et sont douées libéralement comme butineuses.  Les opercules sur le miel sont foncés et d’aspect aqueux.  Peu ou pas de constructions de raccordement.  La propolis est utilisée plutôt largement, mais heureusement pas cette espèce résineuse poissante, mais bien un aggloméré de propolis, d’opercules, etc. moins prêt à coller aux doigts.  Des morceaux de cette mixture sont souvent déposés le long de l’entrée, en automne.  Les cypriotes traversent l’hiver plus sûrement que toute autre race, même sous notre climat septentrional — bien que leur home natif soit subtropical.  Ceci est une de leurs qualités à épingler.  Il n’est jamais venu à ma connaissance de cas où une colonie cypriote, pure ou de première hybridation, n’ait pas passé l’hiver.

Rien n’a peut-être rendu la cypriote plus impopulaire que son irritabilité.  La plupart des lignées réagissent violemment à tout dérangement et cette irascibilité est tout aussi prononcée dans son habitat natif.  Et cependant, les relations au sujet des premières importations en Europe insistent sur sa remarquable docilité, et j’ai trouvé qu’il existe encore dans l’île de ces lignées accommodantes.

Bien que la cypriote soit probablement la race connue la plus homozygote, mon enquête a révélé un certain degré de variation.  Il y a beaucoup de vallées encaissées où l’isolement individuel est aussi total que celui de l’île même.  Ces poches isolées contiennent le matériel en vue de la poursuite de l’amélioration de la race cypriote.  Il devrait être possible, par sélection appropriée, de développer des lignées aussi douces et aussi tolérantes à manipuler que n’importe quelle lignée italienne.

Le complet isolement et l’âpre entourage de l’île, mis ensemble, constituent pour nous un atout inestimable et Chypre est, pour le généticien entreprenant, une véritable Ile au Trésor.  Cependant, des milliers d’années de croisements consanguins entre relativement peu de colonies ont, jusqu’à un certain point, masqué ce dont la race est capable, et l’expérience me porte à croire que les qualités latentes ne s’épanouiront à plein que par hybridation.  Mais j’insiste sur le fait que les cypriotes pures, tout en ayant un prix incomparable en vue de développer sur elles de nouvelles lignées, sont sans valeur pour l’apiculteur moyen.

L’apiculteur, à Chypre, bénéficie d’une seule bénédiction : l’absence complète de maladies.  Pour conserver cette heureuse chance et pour garantir la continuation de la pureté de la race cypriote, l’importation de reines et d’abeilles est strictement interdite.

Je voudrais exprimer mes remerciements reconnaissants au Directeur du Département de l’Agriculture, M. P.C. CHAMBERS, pour son aide précieuse, et aux divers Chefs de District pour leur coopération; je voudrais rappeler aussi ma gratitude envers feu M. Osman NOURI, qui avait pris les arrangements nécessaires à mon enquête à Chypre; hélas, il est mort subitement peu après mon départ.  Je voudrais encore remercier M. S.A.L. THOMPSON pour l’aide fournie sous diverses formes; je garde l’agréable souvenir des courtes visites au chalet de montagne dominant Kyrenla avec, au loin, le coup d’œil sur la Cilicie et les crêtes enneigées du Taurus.


publié en français dans
La Belgique Apicole, 19(6,7), 1955, 168-171 et 195-200;
avec leur permission.
Original in Bee World, 35(10), 1954, 193-203.
[ Bibliographie ]
[ Original in English ]
[ 1 ] [ 2 ] [ 3-4 ] [ 5 ] [ 6 ] [ la suite(5) ]
[ Premier voyage - 1951 ]
[ Troisième voyage - 1961 ]
[ Conclusions des voyages - 1964 ]
par le Frère ADAM, O.S.B.
Abbaye St Mary, Buckfast,
South Devon - Angleterre.
Traduction et adaptation française
par Georges LEDENT
Bruxelles, Belgique