A la recherche des meilleures lignées d’abeilles

Derniers voyages et Conclusion (5)

Extrait de La Belgique Apicole,
29 1965 (6) p150-152
et (10) p241-243
Avec leur permission.
 
Original dans Deutsche Bienenzeitung
et le Bee World
par le Frère ADAM, O.S.B.
de l’Abbaye St Mary de Buckfast, Angleterre
 
Traduction et adaptation française
par Georges LEDENT
Uccle, Belgique
 

La Grèce Septentrionale et les Iles Egées

Après avoir terminé ma tâche en Asie Mineure, au mieux de mes possibilités, je poursuivis via Edirne et Kavalla vers Salonique.  Je profitai de l’occasion pour reprendre l’exploration de la partie grecque de la Macédoine.

C’est en 1952 que j’avais expédié le premier lot de reines grecques en Angleterre.  Grâce à l’American Farm Institute, je pus m’en procurer un nouvel assortiment en provenance de la péninsule de Chalcidique.  Le premier contingent importé en 1952 nous avait donné des résultats extrêmement bons et, au cours des ans, mon appréciation du début touchant la valeur de cette race est restée vive.  De fait, je la considère comme l’une des races les plus précieuses que nous ayons.  Je fus donc enchanté d’avoir l’occasion de me refournir en matériel d’élevage.

En 1952, lors de mes recherches en Grèce et dans le Péloponnèse, j’y avais inclus une visite en Crète.  Déjà alors, je m’étais rendu compte de ce que mon enquête n’aurait pas été complète si je n’explorais pas quelques-unes des îles Egées.  La mer Egée comporte 483 îles et il était clair, d’emblée, que je ne pourrais en visiter que quelques-unes.

Mon premier objectif était l’île d’Ios, à peu près au centre d’un groupe connu sous le nom de Cyclades.  Il paraissait bien probable que les abeilles des autres îles n’accuseraient pas de différence substantielle.

L’île d’Ios, environ 120 km2, compte environ 7000 habitants.  Lors de ma visite, la population, en abeilles, représentait quelque 3000 colonies, dont 550 en ruches modernes.  Ios est très montagneux, et toutes les ruches étaient à la bruyère, sur les hauteurs.  Comme il n’y a pas de routes, il nous fallut enfourcher bourricots ou mulets, seul moyen de transport, une façon lente et pénible de se déplacer.  C’est cependant ainsi que sont véhiculées les ruches, tant modernes que primitives.  Un mulet porte quatre ruches primitives ; l’apiculteur déambulant derrière, à pied, avec une ruche sur l’épaule et une autre ficelée au dos.  Ces pauvres gens des îles ne regardent pas à l’effort, et on n’imaginerait pas un mode de transport plus ardu.

Notre groupe se composait de neuf personnes et, presque tout le long du trajet, il nous fallut aller en file indienne sur nos montures sur la piste traîtresse.  Au lever du jour, je notai d’abord une végétation subtropicale très variée, puis plus haut, ce fut de plus en plus de la bruyère.  Bien que l’Erica verticillata fût fort répandue, je pus observer d’autres variétés que je ne connaissais pas jusque là.  Graduellement nous repérions de-ci de-là un groupe de ruches, abritées dans un creux ou qu’une anfractuosité de roc masquait du vent, sans que jamais il n’y en eût plus de 10 à 20 ensemble.

Les abeilles, ici, appartiennent à la même race que celle de Grèce continentale.  Fort curieusement, je pus observer le même phénomène constaté en Crète, à savoir, à l’occasion, une colonie dotée d’une propension à piquer à l’égal de celles de certaines races d’Orient.  La majorité des colonies avait bon caractère à tout point de vue, autant que celles du continent, chez qui je n’avais jamais rencontré d’exemple de cette irritabilité extrême.  Ces manifestations isolées du pire caractère s’expliquent difficilement, vu qu’aucun signe n’autorisait à l’attribuer à une importation du Proche Orient.

Au retour, je ne m’arrêtai à Athènes que brièvement, jusqu’à ce que le Ministère de l’Agriculture ait fait le nécessaire en vue de ma visite à Samos.  Cette île est célèbre à plus d’un titre, peut-être surtout pour son muscat.  Très fertile, elle s’étend sur quelque 460 km2 et compte 67 500 habitants, elle possède 4855 colonies d’abeilles, dont 3480 en ruches primitives.  L’île suivante par ordre de grandeur, Ikaria, bien que de moitié plus petite, possède 8240 colonies, d’après les chiffres que me fournit le Directeur de l’Agriculture lors de ma visite.  Tant Samos qu’Ikaria sont sous juridiction du Directeur de Vathy Samos.

Sur la base de ces données, la densité en colonies à Ikaria est de plus de 35 colonies par km2, probablement la plus forte qui existe au monde.  Thasos, au nord de l’Egée, plus grande d’un tiers, possède 10 000 colonies et est souvent appelée l’île aux abeilles.  Dans l’une et l’autre île, le miel, principalement de miellat provient d’un pin, Pinus halepensis.  Néanmoins à Ikaria, Erica verticillata intervient à peu près dans la même mesure.  Pour autant que j’aie pu m’en assurer, Ikaria et Thasos, avec la Chalcidique, cette péninsule à la côte Nord de l’Egée, sont les centres les plus importants de l’apiculture en Grèce, et les régions où la production de miel constitue le seul gagne-pain de nombreux apiculteurs.

Les abeilles de Samos et d’Ikaria paraissent être de race anatolienne occidentale.  A peine 1,5 km sépare le point le plus rapproché de Samos du littoral d’Asie Mineure, et moins de 20 km séparent Samos d’Ikaria.

Quand donc je quittai la grand-route, mes pensées étaient tournées vers le passé.  Mais avant d’arriver à Philippi, mon attention fut attirée par un immense entassement de ruches tressées, une superposition de couches alignées.  J’en comptai 400, mais il y en avait bien plus.  Leur disposition régulière témoignait du savoir-faire d’un apiculteur fier de son état.  Les ruches étaient toutes du même modèle et d’une capacité énorme.  Ce rucher était l’œuvre d’un apiculteur particulièrement compétent disposant d’abeilles prolifiques au-delà de la normale.

Capacité mise à part, ces ruches présentaient une autre particularité : les éléments verticaux des corbeilles tressées, dépassaient de 5 bons cm dans le bas, permettant ainsi aux abeilles d’entrer et de sortir ad libitum dans n’importe quelle direction, fournissant en outre une ventilation dépassant de loin ce qui est généralement jugé nécessaire.  La chose était d’autant plus frappante qu’habituellement les apiculteurs, en Grèce, tiennent l’entrée de leurs ruches bien plus étroite que nous ne le faisons généralement ici en Angleterre.

J’appris que ces ruches venaient de l’île de Thasos.  On les amenait ici à cette saison de l’année où il n’y avait rien à récolter dans l’île, alors qu’il y avait de quoi trouver sa subsistance sur le Continent.  La grande quantité de ruches sur un seul emplacement, leur excellent état et la capacité exceptionnelle étaient suggestives de la nature des abeilles et de l’apiculture — dans cette île : j’étais informé maintenant là-dessus.

Ces détails permettent d’apprécier combien l’apiculture, dans les îles de l’Egée, constitue un facteur économique de première importance.  Bien que, dans certaines îles, les abeilles, en somme, ne présentent pas de valeur particulière en vue de l’élevage, leur valeur économique et de production ne fait pas de doute.  Nul ne pourrait trouver son gagne-pain avec des abeilles de qualité inférieure, avant tout ici où l’apiculture primitive est la règle plutôt que l’exception. 

 

BA 29 1965 (10) p241-243

La Yougoslavie

Il est généralement reconnu que les formes les plus typiques de A. mellifera carnica se trouvent en Haute Carinthie et dans les deux provinces joignantes de Carinthie et de Styrie.  Dans les pays de langue anglaise, cette race est communément dite carniolienne du fait que les premières importations, jusqu’à 1940, provenaient de la Haute Carniole.  Cependant la distribution géographique de la race dépasse largement les trois provinces citées et, comme nous le savons maintenant, s’étend à toute la Yougoslavie, la Hongrie, la Roumanie, la Bulgarie et la plus grande partie de l’Autriche.  Mais on manque de détails précis.  L’abeille grecque, A. mellifera cecropia, est sans aucun doute une sous variété de la carnica.  D’aspect, les deux races ne diffèrent pas, mais il y a divergence marquée dans leurs caractères physiologiques.  Pour autant que j’aie pu m’en assurer, les abeilles du Nord de la Grèce, surtout celles de la péninsule de Chalcidique et de la bande étroite entre l’Egée et la chaîne du Rhodope comprenant la Thrace tant grecque que turque, doivent leur supériorité à une influence dépendant de l’abeille anatolienne.  Jusqu’où l’influence anatolienne va en Bulgarie, dans la plaine de la Maritza, nous ne le savons pas.  Il y a forcément des variations importantes plus nous nous éloignons des centres principaux d’habitat de la carnica.  En réalité, même dans les limites de la Yougoslavie des variations considérables peuvent être notées, bien qu’extérieurement les abeilles ne diffèrent que peu ou prou de la carnica dans l’acception générale.

Au cours d’une longue tournée en Bosnie, Herzégovine, Monténégro et en Serbie du sud-ouest, j’ai trouvé des abeilles de ces régions plus prolifiques et moins essaimeuses que la vraie carnica.  Par contre, la tendance à propoliser est plus marquée, ainsi que, semble-t-il, celle à subir les atteintes du Nosema.  Et même, ce dernier trait est si accusé que nous ne pourrions rien faire de ces lignées, chez nous, en Angleterre.

Le Banat

Il est fait état, ici et là dans la littérature apicole, d’une sous variété de la carnica trouvée dans le Banat — une région située là où convergent les frontières yougoslave, hongroise et roumaine.  Cette abeille a attiré l’attention, il y a déjà plus d’un siècle.  Néanmoins, à m’en référer à tout ce que j’ai été capable de déceler, cela se borne uniquement à des affirmations touchant l’existence de la dite race, tout détail relatif à ses caractéristiques et à sa valeur économique m’échappant jusqu’ici.  Que cette abeille du Banat ait attiré l’attention il y a plus de cent ans paraissait justifier de plus amples investigations !

Le Banat, situé au sud-est de la frontière hongroise, actuelle, est compris entre le Danube au Sud, le Moros au Nord, la Theiss à l’Ouest et les Alpes de Transylvanie à l’Est.  Il a cessé d’être une entité unique : un tiers est devenu yougoslave et le reste appartient à la Roumanie.

Souvent, j’avais entendu parler des vastes forêts d’acacias de cette région et tandis que je remontais au Nord depuis Skopje, mon regard ne rencontrait que robiniers en fleur.  Si bien qu’en arrivant à Belgrade je ne fus pas surpris de découvrir que les ruches avaient été déménagées vers l’Est, aux frontières de la Roumanie.  La route vers ces forêts avait de quoi désespérer tout automobiliste et, plus d’une fois, il parut que nos efforts pour arriver à notre but seraient vains.  Il nous arrivait de passer des monticules de terre qui, jadis, marquèrent la limite entre les empires chrétien et musulman.  Ces vastes forêts d’acacias sont localisées là où un sol pauvre, sablonneux, ne pourrait servir à rien de bien autrement.  Marie-Thérèse en avait fait faire la plantation; c’était une des rares essences susceptibles d’y prospérer.  Les apiculteurs, maintenant, bénéficient de l’aubaine qu’ils doivent à l’impératrice.

Dès notre arrivée, je pus examiner les ruches à loisir.  Comme elles regorgeaient de miel, ce n’était pas facile, bien, que la remarquable docilité des abeilles permit de travailler sans voile.  L’élevage avait été fortement restreint par l’abondance des rentrées et je ne pus noter aucun signe d’essaimage.  Tout de suite une chose me frappa : l’abeille du Banat est beaucoup plus fortement colorée sur les trois premiers segments dorsaux que ce que j’avais jusqu’ici pu observer chez n’importe quelle lignée de carnica.  La couleur n’est pas ce jaune clair de l’Italienne, mais un jaune tanné ou brun rouille que l’on a coutume d’associer à la race primaire.  Toutefois, chez la vraie carnica, le brun rouille ne ressort qu’occasionnellement et jamais aussi marqué que chez la banate.  Il y a du reste pas mal de diversité chez la banate et parfois la couleur pourrait se dire jaune.  Le scutellum des ouvrières varie du jaune au brun; le pelage est brun clair et les tomenta gris avec une touche de jaune.

Nous ignorons l’origine de cette variété.  Comme déjà mentionné, on disait la banate une race distincte, et ce bien avant que n’aient lieu sur une grande échelle des échanges de reines entre régions fort distantes l’une de l’autre.  De fait la ruche moderne venait tout juste d’être inventée et jusque là tout échange de reines était pratiquement impossible.  Les immigrants de Marie-Thérèse provenaient de parties de l’Europe où seule l’abeille noire était connue.  Cette abeille semble avoir été, de quelque façon qu’on regarde les choses, une bizarrerie de la Nature, due au hasard qui a fait une combinaison où interviennent des facteurs constitutifs du façonnement génétique de la carnica.  Ce sont ceux-ci qui se manifestent par spasmes dans la coloration brun rouille qui donne tant de souci aux éleveurs de notre temps, à la poursuite de l’uniformité parfaite.  Le fait que cette abeille ait été capable d’affirmer et de maintenir son individualité distinctive au cœur même de l’habitat de cette autre race qui lui est apparentée, est certes un phénomène remarquable.

Couleur mise à part, nous n’avons pas d’information précise jusqu’ici touchant les caractères en quoi cette variété diffère de Banat mais le temps nous a manqué pour tirer des conclusions au sujet des mérites respectifs de cette sous variété et de la carnica que nous connaissons, l’une par rapport à l’autre.

Il me faut exprimer ma gratitude au président et au secrétaire de l’Association des Apiculteurs Yougoslaves, dont l’aide m’a permis de réaliser cette partie de mes recherches. 

Quittant Belgrade pour l’Angleterre, j’y arrivai vers la fin de juin, à temps pour me permettre de participer aux principaux travaux de la saison.  Me laissant du temps pour compléter les derniers préparatifs du voyage en Egypte, prévu pour l’automne.


Extrait de La Belgique Apicole,
29 1965 (6) p150-152
et (10) p241-243
Avec leur permission.
 
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de l’Abbaye St Mary de Buckfast, Angleterre
 
Traduction et adaptation française
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